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Avec le premier janvier s’ouvre la traditionnelle période des vœux pour la nouvelle année. Si, pour le commun des mortels, ils sont l’occasion de faire un signe affectueux, il n’en va pas de même pour les politiques. En effet, leurs fameuses « cartes de vœux », qui peuvent prendre une forme écrite mais plus souvent audiovisuelle, entrent dans une stratégie de communication plus vaste.
Député-e-s, maires, elles et ils se transforment parfois en véritable stakhanovistes des voeux, tant le mois de janvier ressemble à un marathon où chaque corps constitué ou chaque corps de métier a droit à une adresse particulière.
Gérard Larcher, Yvelines 2020

Gérard Larcher lors des voeux 2019 du préfet des Yvelines.

Ces messages tentent d’atteindre au moins cinq objectifs : incarner, signifier, toucher, figurer et graver.
Incarner, tout d’abord, car il s’agit pour l’homme ou la femme politique, en tant que représentant-e d’un parti, d’un territoire, d’une nation, de rappeler la légitimité de sa parole;
signifier, ensuite, car le message est l’occasion pour le ou la politique de justifier son action ;
toucher, puisque la parole doit atteindre sa cible, en étant simple et claire ;
figurer, dans la mesure où le message est produit selon une certaine mise en scène, qui ordonne des symboles ;
graver, enfin, la mémoire de la cible, à une ère d’infobésité où nous sommes saturés de messages aussi vite vus qu’oubliés.
Le choix du lieu donne le ton et indique le cadre dans lequel le message s’inscrit.
Le plus classique est le bureau de l’homme ou de la femme politique, donnant un incontestable sérieux à la déclaration, mais qui peut paraître dépassé voire ringard. C’est le choix de Gilbert Collard, assis devant sa bibliothèque, symbole culturel s’il en est.
Christian Jacob opte pour la station debout, plus dynamique, mais dans une mise en scène au mieux minimale, au pire, impensée. Valérie Pécresse fait la même proposition, puisqu’elle se tient dans son bureau de présidente de Région, idoine dans la perspective où elle entreprend de dérouler son bilan.
Les vœux d’Emmanuel Macron (qu’on dira « déterminés » ou « bornés » selon le point de vue) n’échappent pas à ce classicisme : la prise de parole est réalisée à l’Élysée, devant une fenêtre donnant sur le parc. Le Pouvoir s’adresse au peuple depuis ses murs, mais en ménageant une ouverture.
La mise en scène est plus travaillée pour Christian Estrosi, candidat à sa réélection à Nice. Il parle aux Niçoises et aux Niçois depuis son bureau de maire, où quelques symboles choisis définissent ses intérêts : un bibelot décoratif « I Love Nice », une photo du général de Gaulle et un portrait de Simone Weil. Des échappées permettent de sortir de cet espace clos pour offrir différentes images de la ville.
François Asselineau semble avoir voulu prendre sa revanche sur le peu d’invitations qu’il reçoit pour la télévision, en s’exprimant depuis un studio qui rappelle celui du vingt-heures ou d’un talk-show politique.
Afin de sortir de ces figures très convenues, Anne Hidalgo a choisi des arbres décorés, en accord avec la partie écologique de son propos. Marine Le Pen est flanquée du traditionnel sapin, dans un intérieur qui évoque un cadre privé. On voit que l’audace n’est pas débridée…
Hervé Morin, qui nous a amus-é-e-s les années précédentes en nous entraînant dans sa cuisine ou son salon, nous accueille cette fois-ci cul sur la table, dans une salle de restaurant: « je vais vous parler sans chichis, avec simplicité et vérité », semble-t-il nous dire.
Deux autres ont choisi l’extérieur pour adresser leurs vœux. François Bayrou nous offre une vue du château de Pau, dont il est maire, tandis que Nicolas Dupont-Aignan s’est planté devant la Tour Eiffel, « symbole du génie français ».
Que retenir de ces exemples de la cuvée 2020 des vœux politiques ?
Incarner, signifier, toucher : ces messages le peuvent.
Nos hommes et nos femmes politiques incarnent leur pouvoir avec une délectation manifeste, trop manifeste, peut-être, au risque de se couper de leurs représenté-e-s. Ils et elles ont grande habitude de justifier leurs actions, si bien qu’ils et elles peuvent verser dans une assurance qui frise l’arrogance. Aucun jargon n’a été repéré et des mots simples sont employés, certes. Mais reste, dans leur prise de parole, un ethos, qui surjoue parfois la gravité de leur fonction, au détriment du vote populaire dont ils sont issu-e-s.
Figurer et graver : la marge de progression est grande.
Qui se souviendra de ces vœux dans un an ? Le manque d’invention le dispute à l’oubli de la dimension optique du mot audiovisuel. L’esprit de sérieux plombe un contenu sec fait de chiffres, de listes d’actions menées, de grands mots en -isme.
Les spots qui auront une chance de rester dans les mémoires ne seront pas ceux qui se résumeront à un énième discours. Ceux que nous retiendrons seront ceux qui, loin de proposer du contenu politique dans le seul texte énoncé, étendront cet aspect à l’ensemble des moyens utilisés : plans, scénographie, montage, etc.
Comme le disait Godard, le travelling est une affaire de morale, et donc, également, de politique. Ce que ces pastilles vidéos n’ont pas intégré, c’est que la mise en scène est en elle-même un parti (politique). Choisir la Tour Eiffel comme décor envoie un signal fort : celui de l’ancrage historique, mais aussi celui d’un passé révolu. Parler depuis sa table de travail met en avant la dimension bureaucratique du mandat électif, au détriment de son impact concret.
Pour ma part, je forme le voeu (pieux ?) que les futurs voeux de nos politiques soient plus politiques, dans le sens où le part-pris de mise en scène tentera refléter avec fluidité la singularité du projet politique proposé.
À bon entendeur…
Rendez-vous l’année prochaine pour les vœux 2021.